Missions Publiques. Avec la crise sanitaire, le lieu StamEuropa sera pleinement ouvert en septembre 2021. Mais revenons sur la genèse de ce projet et sur ce qui a motivé sa création…
Alain Deneef. Le concept StamEuropa est à l’origine une réflexion portée par l’agence de design urbain Vraiment Vraiment autour d’un lieu qui pourrait devenir une ambassade citoyenne auprès de l’Union européenne. Les pays, les régions et les grandes villes ont des représentations permanentes auprès de l’UE mais le simple de citoyen de base, au-delà du processus démocratique des élections, n’en a pas. C’est donc ainsi qu’est née l’idée de « l’ambassade bruxelloise ». Puis, en tant que président de l’association EQuAMA (2), j’ai eu vent d’un lieu abandonné à réhabiliter. Pour éviter toute confusion avec les institutions, le nom d’ambassade a rapidement été laissé de côté et nous avons proposé la création d’une maison du dialogue démocratique. Le terme « Stam » signifie « souche, racine » en néerlandais, et dans beaucoup de langues germaniques, allemande et scandinaves. A Bruxelles, un « stam café » est un café où l’on a ses habitudes et où l’on se sent bien. StamEuropa est donc un endroit où l’Europe est chez elle et où les citoyens européens se sentent chez eux en Europe ; un lieu où l’on pratique le dialogue démocratique et la participation citoyenne.
Une de nos sources d’inspiration, ce sont les festivals de la démocratie très en vogue dans les pays baltes et les pays scandinaves, qui attirent chaque année entre 15 000 et 100 000 personnes sur quelques jours. Le dialogue et les débats y sont construits d’une manière démocratique car égalitaires dans les voies et moyens du dialogue, et des règles d’engagement ou de discussion. Personne ne se tient sur une estrade, pas de monopolisation de la parole, pas de questions filtrées mais une rotation d’acteurs qui viennent questionner les responsables. Notre ambition est de restituer ces principes dans StamEuropa, et que les organisations du lieu s’y soumettent. Des tarifs différents seront appliqués selon la taille des organisations (entreprises, collectifs ou associations), mais nous n’autoriserons pas les débats dans leurs formes classiques.
Missions Publiques. Vous dites que StamEuropa est un lieu à l’unisson ou en résonance avec son époque, à la fois physique et virtuel…
Alain Deneef. StamEuropa sera doublé d’une virtualité de « bon aloi », c’est-à-dire de la possibilité de faire venir l’information dans le lieu, d’organiser des débats virtuels qui dépassent le quartier européen et de laisser une trace numérique de son passage. Trois dispositifs sont prévus : le « broadcast », chaque débat pourra faire l’objet d’une retransmission sur Internet grâce à un équipement qui permettra une prise de vue. Une captation sur place et un dialogue avec une autre salle à distance seront possibles. Deuxième dispositif : la canalisation d’informations en rapport avec l’actualité européenne dans StamEuropa que nous rendrons visibles via plusieurs écrans (mais aussi sur Internet). Nous sommes dans une logique de cercles concentriques. Le premier cercle d’informations est ce qui se passe dans le lieu StamEuropa, ; deuxième cercle : les événements du quartier européen, très spécifiques de la construction européenne (session plénière du Parlement européen, les travaux des comités, les délégations de la Commission européenne) et puis tout ce qui a trait à l’écosystème européen au-delà des institutions avec l’actualité des débats organisés par les lobbies et la société civile. Et troisième cercle : l’actualité de l’Europe et ses grandes décisions et événements qui méritent d’être portés à connaissance.
Le troisième dispositif mis en place à StamEuropa est le podcast. Après leur visite, les gens seront en mesure de laisser leur témoignage. Un questionnaire leur sera proposé dans les 24 langues officielles de l’Union européenne sur leurs rêves, leurs ambitions et leurs peurs concernant l’Europe. Tout ce matériau sera analysé et porté à connaissance de certaines agences de la Commission européenne ou du Parlement européen. Des chercheurs pourront également travailler à partir de ces données. Enfin, ces témoignages seront archivés pour en faire une sorte de mémoire vivante de la citoyenneté européenne.
« Un lieu comme StamEuropa pourrait devenir le lieu où les gens s’écoutent et écoutent, non pas en fixant leurs propres conditions pour le débat, mais en acceptant les conditions des autres.
Alain Deneef
Entrepreneur et fondateur de StamEuropa
Missions Publiques. StamEuropa vise à « transformer l’Europe par le bas ». Qu’entendez-vous par là ?
Alain Deneef. C’est une idée évidemment battue, débattue et rebattue. Je ne pense pas qu’il faille faire l’Europe uniquement par le bas car il y a une responsabilité des élites à fixer un cadre et à déterminer les règles du jeu pour que l’Europe puisse s’exprimer par le bas. Ce n’est pas en ouvrant les portes de la communication de manière non structurée que des solutions se dégagent. Avec nos partenaires, dont Missions Publiques, nous organiserons des débats et d’autres organisations pourront faire de même. L’idée n’est pas de contrôler le contenu des discussions mais de s’entendre sur les règles d’engagement et de discussion. Cela peut paraître une évidence, mais ce n’est pas une mince affaire surtout en ces temps de complotisme et de diffusion de fausses informations. « Par le bas », parce que le lieu permet par son architecture et par ses règles de discussion l’ouverture et la franchise et que les personnes présentes abandonnent l’autocensure, leur timidité ou l’idée qu’elles ne sont pas légitimes et pas suffisamment expertes. De ces règles du jeu peuvent naître des débats intéressants avec des idées innovantes et des esquisses de solutions.
Tout le pari est aussi de toucher ces personnes non sensibilisées. Rappelons que cet espace ne sera pas un lieu austère ! Nous serons aussi un lieu horeca (hôtels-restaurants-cafés). Il sera donc également possible d’y prendre un verre et d’y manger légèrement une fois toutes les conditions sanitaires réunies, sans doute à partir de septembre. StamEuropa sera ouvert dès 8h du matin et pourra être occupé par une entreprise, une organisation et par toute personne venant assister à un débat ou simplement passant dans le coin. Nous espérons ainsi accueillir des habitants du quartier, des personnes actives dans les institutions européennes et autour et toutes les personnes de passage dans le quartier. Cela représente environ près de 400 000 visiteurs par an, notamment des touristes visitant le Parlement et divers lieux culturels, invités par des députés européens,. Le quartier européen est un petit secteur d’un kilomètre sur un kilomètre, qui est à la fois un quartier d’affaires et un quartier administratif. Les institutions européennes en sont évidemment les occupantes principales, mais il y a tout l’écosystème européen (lobbies et représentations de tout type) qui gravite autour. S’y trouvent également les entreprises plus « classiques » qui en font le premier quartier d’affaires de Bruxelles. Tout près, il y a des quartiers extrêmement habités et peuplés, très divers dans leur composition sociologique. Ce quartier brasse énormément de monde et nous savons d’expérience que nous pouvons attirer des personnes de plus loin si le lieu a, à un moment donné, quelque chose pour les attirer.
Missions Publiques. L’actualité européenne est propice aux débats et aux discussions avec notamment la tenue de la Conférence sur l’avenir de l’Europe (3), officiellement lancée ce 9 mai lors de la Journée de l’Europe. Le moment de rebattre les cartes au niveau institutionnel et d’intégrer la parole des citoyens dans les futures décisions ?
Alain Deneef. Sur le principe, je suis heureux que cette Conférence ait lieu. Je ne suis pas de ceux qui font la fine bouche et qui critiquent l’accord passé entre les trois grandes institutions qui ne prévoit pas que le résultat des travaux puisse déboucher sur une remise en cause des traités et, éventuellement, une modification de ces derniers. Plus important que le résultat de ces conversations, c’est le processus mis en place. Aux débats organisés officiellement et à la consultation massive des citoyens en ligne viendront s’ajouter tous les débats « officieux ». Au travers de cette démarche participative, des dynamiques vont se créer, qui, indépendamment du contenu des discussions, contribuent à faire percoler dans l’opinion publique l’idée qu’il existe une forme d’écoute des institutions. La plupart des personnes qui vont participer à la consultation en ligne (4), mais encore plus au débat citoyen, sont souvent déjà intéressées par la question et/ou organisées, structurées en collectif. Mais elles véhiculent le message qu’on les a écoutées, que le processus est intéressant et qu’un certain nombre d’idées peuvent passer la barrière des autorités. Ce sont elles qui diffuseront ce message à la société au sens large et c’est à ce moment-là que l’opinion des citoyens pourra progressivement évoluer.
Ces initiatives tordent le cou à l’idée que Bruxelles est une forteresse bureaucratique qui n’écoute pas. Un lieu comme StamEuropa pourrait faire la démonstration que ce quartier européen, souvent vilipendé, pourrait renverser le paradigme et devenir le lieu où les gens s’écoutent et écoutent, non pas en fixant leurs propres conditions pour le débat, mais en acceptant les conditions des autres.