L’inclusion citoyenne est une invitation à renverser notre regard

Quels sont les défis politiques pour habiter la France de demain ? C’était la thématique du webinaire organisé par le ministère de la Transition écologique. De nombreux intervenant-e-s sont venu-e-s apporter leur éclairage sur comment préparer la ville et des territoires sobres, résilients, inclusifs et productifs. Notre co-directrice Judith Ferrando était invitée en tant que grand témoin. Voici son intervention.

L’inclusion peut apparaitre comme un mot valise, très novlangue. C’est pourtant une ambition noble : inclure c’est le contraire d’exclure. Un territoire inclusif, c’est un territoire où chacun-e a sa place, quelles que soient son origine, ses ressources, ses capacités, et peut prendre part à la vie sociale, politique, culturelle et économique. Ce n’est pas simplement une vision corrective ou réparatrice, c’est une invitation à renverser notre regard sur l’aménagement : ce ne sont plus aux habitant-e-s de se conformer à leur environnement, mais à l’environnement de s’adapter aux besoins et qualités de chacun-ne. C’est aussi un territoire et plus largement une société qui reconnait à chacun-e une place, qui lui accorde de la considération, qui s’enrichit de la diversité.

Un territoire, une production immatérielle

L’inclusion citoyenne et politique est une des clés puissantes pour habiter la France de demain. Se donner les moyens de l’inclusion politique et citoyenne est indispensable pour avoir des territoires à forte vitalité démocratique, où les habitant-e-s se sentent citoyen-ne-s de plein droit et non de seconde zone, où les individus et les institutions sont capables de traiter les conflits et de trouver des solutions pacifiques. C’est urgent dans le moment de tension sociale et de creusement des inégalités que nous vivons. Ce n’est pas rien au moment où la France vient d’être classée comme démocratie défaillante par l’Index 2020 de la Démocratie (1).

Un territoire, une ville, ce n’est pas uniquement un ensemble de construction, de routes, d’infrastructures, de zones réglementaires, d’activité économique. C’est une production immatérielle. C’est un espace partagé par des êtres humains qui y ont des activités plurielles : ils y vivent (de passage ou toute leur vie), s’y baladent (en faisant un footing, en marchant avec une poussette, un chien ou un déambulateur), y font leur course, y travaillent, s’y instruisent, font des claquettes, jouent à la belotte dans des club sénior, trainent, se rencontrent, militent, font des enfants, vieillissent, se soignent, etc. Les territoires, ce sont un ensemble de modes de vie, d’usages, de relations sociales et d’émotions.

La transition écologique nécessite des modifications de ces modes de vie. Cela ne peut se faire que si les individus ont une part active dans la réalisation de notre société post-carbone.

La transition écologique oui, mais avec les habitant-e-s

La transition écologique nécessite des modifications de ces modes de vie : une évolution de nos manières de nous déplacer, de manger, de produire, de faire nos achats, de nous loger, de travailler, de penser nos choix de vie.  Cela ne peut se faire que si les individus ont une part active dans la réalisation de notre société post-carbone. Cela nécessite d’arriver à se projeter ensemble dans un monde commun, pour paraphraser Pierre Rosanvallon de tricoter récit individuel et récit collectif. Comme l’a rappelé Franck Boutté (2), il faut construire la désirabilité de la sobriété ; et comme l’a également affirmé Pierre Velz (3), l’économie productive et sobre doit être une économie centrée sur l’humain et c’est une trajectoire à construire, qui n’est ni le verdissement de l’économie actuelle ni forcément l’économie de la déconnexion.

Demain, un territoire plus frugal et plus convivial

A quoi ressemblerait un territoire résilient, inclusif, productif, sobre, pensé et fait avec les habitant-e-s? Ce serait une ville où être dehors est un plaisir, en toute sécurité : une ville pensée pour que les plus fragiles (les enfants, les femmes, les personnes âgées, les personnes à mobilité réduite, les sans-abri) puissent s’y balader et reposer sans risque (donc une place de la voiture revue), où les centres-villes ou centres bourgs soient vivants et proposent des logements adaptés, accessibles financièrement et modulaires pour s’adapter à l’évolution de la taille des ménages, des lieux de rencontre intergénérationnels sans obligation de consommer, où des services publics soient présents, regroupés, et pas que numériques. Ce qui implique une évolution des pratiques d’aménagement du territoire, davantage ville du quart d’heure (4) que logique de métropolisation : un accès aux besoins essentiels : se loger/ se nourrir/ ne pas être isolé. Ce serait un territoire nourricier, un territoire avec des zones de gratuité pour des trocs et de la mise en commun d’outils.  Mais aussi des toilettes publiques gratuites, de l’art dans les rues. Et un rapport à la nature non domestiquée. Ce serait ensuite un territoire où dans le même ensemble d’habitation, il y aurait une crèche, une maison de retraite et des logements pour famille. Enfin, ce territoire aurait un modèle de développement qui profite aux producteur-trice-s locaux-les et avec une place du travail revue : l’activité plutôt que le travail ? Un temps de travail moindre pour avoir du temps pour des activités au bénéfice des autres ? Une reconnaissance du temps domestique ? Un revenu universel ? Des métiers du lien revalorisés ?

Les territoires de demain sont en train d’émerger, plus frugaux, mais aussi plus conviviaux. Et souvent ils sont pensés et mis en œuvre avec les habitant-e-s.

Entendre les désirs des citoyen-ne-s

Utopie ? Rêve de bobo ? Hélas non, ce sont les aspirations majoritaires que j’entends dans de très nombreuses démarches que j’ai accompagné depuis des années, de Haute Garonne Demain (démarche de prospective territoriale participative), aux conférences citoyennes régionales du Grand Débat National, en passant par la Convention citoyenne de Nantes Métropole sur la crise Covid. Des études internationales montrent le désir des gens de ralentir leurs rythmes de vie et de vivre davantage en proximité (5). Et c’est déjà en partie à l’œuvre : les territoires de demain sont en train d’émerger, plus frugaux, mais aussi plus conviviaux. Et souvent ils sont pensés et mis en œuvre avec les habitant-e-s. On peut parler des jardins partagés en ville cultivés par des migrant-e-s et des sans-abris à Rome, des habitant-e-s des quartiers prioritaires à Gap, dans le sud de la France, qui s’embarquent dans une démarche zéro déchet et y retrouvent du pouvoir d’achat et de la fierté, des habitant-e-s en précarité économique ont fait des propositions pour accélérer la transition énergétique lors du grand débat de Nantes métropole sur l’accélération de la transition énergétique, des habitant-e-s et des mairies s’organisent  en milieu rural pour transformer des lieux délaissés en café associatif inter-âge, les jeunes des quartiers populaires de Seine-Saint-Denis ont mis en place de l’aide aux personnes âgées du quartier lors des confinements, sans attendre l’appui des villes et des grandes associations, le projet vegetalcity porté par l’architecte Luc Schuiten propose des habitats de qualité, éco-construits et en harmonie avec la nature pour des sans-abris ou encore les expériences d’urbanisme tactique, d’aménagement transitoire, de construction réversible. Questionnons-nous sur notre capacité à entendre ces désirs et à les transformer en trajectoires, accélérations et actions.

Les plafonds de verre, entraves à l’accélération souhaitée

Rendre un territoire inclusif, ça ne se décrète pas. Encore moins pour des populations qui ont le sentiment que tout se joue ailleurs, sans eux. Arrêtons dans un premier temps de saucissonner la démocratie : on va sur-solliciter les habitants des quartiers populaires en concertation ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), bailleurs sociaux, projet urbain, PLU (plan local d’urbanisme), SCoT (schémas de cohérence territoriale) ou par instances consultatives catégorielles ou en silo (conseils citoyens, conseils des ainé-e-s, conseils des jeunes). Dans un deuxième temps, arrêtons de techniciser et de sur-rationnaliser : revenons au désir de vivre en commun, aux enjeux politiques. Comment voit-on ce territoire où on vit ? Comment s’y sent on bien ? A quelles conditions essentielles ? Qu’est-ce qui compte pour nous ? Cessons de vouloir faire entrer au chausse pied les citoyen-ne-s dans des procédures réglementaires d’une complexité ubuesque parfois, bardées d’acronymes, et revenons aux questions essentielles, cela fera du bien à tout le monde, y compris aux décideur-euse-s public-que-s et aux professionnel-le-s de l’aménagement.

Notre débat démocratique a besoin de radicalité, au sens de revenir à la racine des problèmes et des choix à faire.

Ne pas craindre la radicalité

Puis, créons les conditions de la confiance : règles du jeu claires, retours sur les impacts sur les décisions, être prêt-e-s aussi à revoir sa vision d’un projet, à travailler avec des acteurs associatifs locaux notamment en lien avec les habitant-e-s, aller vers… Il est bon de rompre avec notre imaginaire de la ville et de faire advenir un autre imaginaire de l’aménagement moins fonctionnel, moins mécanique. Redonnons-nous les moyens de la mixité sociale : en termes de production de logements, de scolarisation mais aussi de lieux pratiqués en commun dans la ville. Et surtout, faisons avec et pas pour : nourrissons la culture du dialogue, du projet en commun, du faire ensemble, dès l’école ; stimulons l’action collective de manière coopérative et non pas en mettant en concurrence (comme dans les budgets participatifs) ; pensons autrement l’implication des habitant-e-s, comme une ressource du projet pas une contrariété réglementaire de plus, les voir comme en capacité d’être co-créateur-trice-s de la ville ; accueillons les émergences, la colère, la rugosité, la différence dérangeante (comme l’orchestre du café social de Nantes Métropole ou la contestation des Gilets Jaunes). Osons affronter les sujets compliqués : la transition écologique est un impératif si on ne veut pas complétement bousiller la planète, le vivant, l’humanité. Expliquer le coût de l’inaction comme le suggère Magali Reghezza-Zitt (6) est indispensable. Nos choix démocratiques se font sous contrainte des faits. Notre débat démocratique a besoin de radicalité, au sens de revenir à la racine des problèmes et des choix à faire.

(1) Le rapport publié par The Economist est téléchargeable gratuitement à partir de leur site, après avoir rempli un formulaire.
(2) Franck Boutté, consultant Conception et ingénierie environnementale, était également grand témoin.
(3) Pierre Velz, ingénieur, sociologue et économiste, était le 3e grand témoin de cette journée.
(4) La ville du quart d’heure a été conceptualisée par l’urbaniste Carlos Moreno. L’idée : que l’on puisse trouver près de chez soi tout ce qui est essentiel à la vie : faire ses courses, travailler, s’amuser, se cultiver, faire du sport et se soigner.
(5) Modes de vie et mobilité, une approche par les aspirations, enquête internationale réalisée par l’institut de recherche Forum Vies Mobiles, janvier 2015-mai 2016
(6) Magalie Reghezza-Zitt est géographe, directrice du centre de formation sur l’environnement et la société à l’ENS. Elle était grand témoin lors de ce webinaire.
Crédit photo : Istock (D.R.)
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