Une approche inclusive pour que les minorités contribuent à leur avenir numérique

Née en Ouganda, Caroline Wamala-Larsson a été confrontée très tôt au manque d’accès à Internet des femmes qui l’entouraient. Aujourd’hui, elle est chercheuse spécialiste du genre et de la technologie en Suède au SPIDER Center, un organisme qui développe des solutions numériques en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud. Nous l’avons rencontrée dans le cadre de sa collaboration au projet européen EQUALS EU.

Missions Publiques. Quel est le parcours qui vous a amené à investir la recherche sur le genre et la technologie ?

Caroline Wamala-Larsson. En 1997, j’ai envoyé un mail pour la première fois et j’ai compris à quel point j’étais privilégiée. J’ai grandi dans différents pays d’Afrique australe et les membres de ma communauté n’avaient pas accès aux ordinateurs en particulier les femmes. J’ai donc commencé ma carrière en tant que comptable, et j’ai également été chargée d’enseigner l’utilisation des applications informatiques car j’avais une certaine aisance pour expliquer les choses de manière simple. Je me souviens encore avoir assisté à l’une de ces formations et être la seule femme de 24 ans dans une salle de 30 hommes plus âgés. C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de m’engager pour que les femmes puissent bénéficier des mêmes avantages et « avoir accès au monde ». Et pour ce faire, je me suis penchée sur la sociologie de l’inégalité.

Par la suite, j’ai été admise dans un programme « Science, technologie et société » en Suède qui m’a permis de travailler pour la première fois sur les théories sociales et de genre. Cela m’a ouvert les yeux. J’ai poursuivi mes recherches après mon doctorat sur les expériences des femmes avec la technologie, en particulier au Swaziland (où je vivais et qui s’appelle maintenant Estwatini), puis en Ouganda, mon pays natal. Là-bas, j’ai passé beaucoup de temps avec des agriculteurs pour comprendre leurs pratiques en matière de recherche d’informations et la place du genre dans le domaine agricole. Quatre ans plus tard, j’ai eu le privilège de trouver un emploi au Spider Center situé à l’université de Stockholm. Son objectif est de développer des solutions TIC/numériques pour combler les écarts sociaux et transformer les communautés de sorte que la technologie soit une aide et non une solution en elle-même.

La majeure partie de notre travail se concentre sur la santé, l’éducation et ce que nous appelions autrefois la « démocratie » mais que nous appelons désormais la transparence et la responsabilité. Pourquoi ce changement de nom ? Parce que de plus en plus de plateformes numériques sont utilisées comme des outils de surveillance et les coupures d’internet sont devenues des moyens de pression et d’oppression. Lorsque vous parlez d’utiliser les TIC pour la démocratie, cela déclenche beaucoup de signaux d’alarme chez nos partenaires dans le monde entier. Nous avons donc changé le nom pour englober ce que nous faisons vraiment : construire un accès plus transparent à l’information publique (cela peut être aussi simple que demander un permis de conduire ou un certificat de naissance).

Nous pensons que l’utilisation des technologies numériques et, en outre, le recours à la recherche comme méthode de collecte de données pour comprendre les besoins des communautés et leurs réalités, sont d’une grande valeur pour la réalisation des objectifs de développement durable et de l’agenda 2030.

« Nous devons montrer où en est l’innovation sociale et la transformation numérique en Europe et dans quelle mesure les processus technologiques intègrent l’égalité des genres.

Caroline Wamala-Larsson

Chercheuse spécialiste du genre et de la
technologie à SPIDER Center (Suède)

Missions Publiques. Comment pensez-vous que nous devrions aborder l’équité raciale et de genre dans la technologie ?

Caroline Wamala-Larsson. Le monde de la technologie est dynamique et passionnant, mais n’inclut que très rarement les défis sociaux. Il est pourtant important de s’assurer que les algorithmes ne sont pas biaisés dans la manière dont ils sont créés. Pour s’assurer que ce n’est pas le cas, je crois fermement que le secteur de la technologie devrait être multidisciplinaire. Il est toujours bon d’avoir des sociologues intégré-e-s au process de développement technique : ils ou elles peuvent poser des questions auxquelles les spécialistes de la technologie, tels que les programmeur-euse-s et les développeur-euse-s, ne pensent pas forcément. C’est vrai pour les sociologues, les théoricien-ne-s de la race critique (« critical race theory ») mais aussi les spécialistes et les activistes du genre, etc. Ce sont les personnes auxquelles les organes de décision devraient s’adresser lorsqu’ils réfléchissent à des solutions pour l’ensemble de la société.

Si nous avions une approche inclusive du travail que nous faisons, les minorités contribueraient à leur propre avenir numérique. À cet égard, travailler sur le projet européen EQUALS EU avec Missions Publiques et d’autres membres du consortium est vraiment inspirant. Jusqu’à présent, la plupart des travaux ont été menés dans les pays du Sud. Aujourd’hui, nous aspirons à des activités incroyables dans la région européenne et cela apporte une autre perspective régionale à la transformation numérique.

 

Missions Publiques. EQUALS EU est un projet de recherche avec un consortium d’universités et d’acteur-trice-s du monde de la tech et du digital. Ce dernier vise à créer des processus créatifs faisant appel à l’intelligence collectif pour permettre l’inclusion des femmes et des minorités de genre. Quel sera votre rôle ?

Caroline Wamala-Larsson. Quelque-un-e-s de mes collègues sont allé-e-s à l’Internet governance forum (IGF) en 2019 et ont rencontré George Anthony Giannoumis (1) de l’Université d’Oslo qui était particulièrement intéressé par les recherches de SPIDER. Après avoir élaboré une proposition de partenariat phénoménale avec SPIDER, nous avons rejoint le consortium d’EQUALS EU. Je dirige donc le « work package » qui intègre l’aspect recherche dans le projet général. Le premier objectif est de comprendre le paysage européen et de savoir où en sont les écosystèmes numériques et de genre à l’heure actuelle. Nous devons montrer où en est l’innovation sociale et la transformation numérique en Europe et dans quelle mesure les processus technologiques intègrent l’égalité des genres. Notre mission est de fournir aux autres membres du consortium une photographie de la situation actuelle, afin qu’à partir de ces éléments, ils creusent des pistes et construisent les autres volets du projets (hackathons numériques, camps d’innovation etc.).

Si l’égalité dans le domaine de la technologie est notre objectif, nous devons absolument impliquer autant de groupes divers que possible. En ce sens, les processus délibératifs sont un bon moyen d’y parvenir : ils pourraient même être le moyen le plus efficace. Ces processus sont également intéressants pour comprendre pourquoi certains groupes n’utilisent pas certaines technologies. L’appréhender est indispensable pour ajuster nos réponses et répondre à leurs besoins. Le chemin n’est pas facile. Il faut du temps, des ressources et de l’argent pour recueillir des voix diverses. Mais c’est le seul moyen de les inclure et de cocréer ensemble des solutions.

Pour en savoir plus : Le projet EQUALS-EU

 

(1) George Anthony Giannoumis est un chercheur spécialisé dans les politiques et les pratiques technologiques. Il est un expert internationalement reconnu en matière de conception universelle des technologies de l’information et de la communication (TIC). Il dirige et participe à plusieurs projets de recherche et d’innovation à grande échelle basés dans plus de 17 pays dont EQUALS EU.
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